jspquoidire reviewed La mécanique raciste by Pierre Tevanian
Une contribution intéressante et relativement accessible à l'analyse du racisme en France
4 stars
i. Deux paragraphes synthétique de présentations ii. Conseil de lecture sélective pour les lecteurices pressé·es iii. Développements critiques.
i. Pierre Tévanian a dans les années 2000 consacré plusieurs livres, notamment avec Sophie Tissot, à la montée de l’extrême droite et au racisme dans un contexte français où l’islamophobie commençait à occuper de plus en plus de place dans la sphère public. Dans ce livre l’auteur se propose d’opérer une synthèse du phénomène raciste en l’analysant comme un système doté d’une certaine cohérence. Pour se faire il en analyse, en philosophe, la logique, la métaphysique, l’esthétique et l’éthique. Qu’est-ce à dire ? La logique raciste prétend qu’égalité et différence sont incompatibles : les personnes racisées ne pourrait prétendre à l’égalité qu’en s’assimilant (mission impossible) ou sont alors enjointes à assumer à fond leur différence (au dépens de l’égalité : si tu veux porter le voile, va dans l’enseignement privé confessionnel). La …
i. Deux paragraphes synthétique de présentations ii. Conseil de lecture sélective pour les lecteurices pressé·es iii. Développements critiques.
i. Pierre Tévanian a dans les années 2000 consacré plusieurs livres, notamment avec Sophie Tissot, à la montée de l’extrême droite et au racisme dans un contexte français où l’islamophobie commençait à occuper de plus en plus de place dans la sphère public. Dans ce livre l’auteur se propose d’opérer une synthèse du phénomène raciste en l’analysant comme un système doté d’une certaine cohérence. Pour se faire il en analyse, en philosophe, la logique, la métaphysique, l’esthétique et l’éthique. Qu’est-ce à dire ? La logique raciste prétend qu’égalité et différence sont incompatibles : les personnes racisées ne pourrait prétendre à l’égalité qu’en s’assimilant (mission impossible) ou sont alors enjointes à assumer à fond leur différence (au dépens de l’égalité : si tu veux porter le voile, va dans l’enseignement privé confessionnel). La métaphysique raciste renvoie aux manières dont le groupe dominant construit un discours visant à légitimer la domination, la normaliser, quand bien même elle serait en contradiction avec les principes dont elle se revendique : une sociodicée. Pour la France cela donne les droits de l’homme devenu marqueur national au nom duquel on discrimine, prétend à la supériorité etc. L’esthétique correspond aux manières différenciées dont sont perçues les personnes racisées, à la manière dont cette perception peut passer de l’invisibilité à la dangerosité et à la manière dont cette différence est construite. Enfin l’éthique s’attaque à la position des personnes blanches vis-à-vis d’elles-mêmes vis-à-vis du racisme. Ce livre peut être une bonne introduction au fonctionnement de l’idéologie et discours raciste (même si je recommande de commencer par la conclusion, voire de s’y tenir pour les personnes pressé·es). Sans rien y avoir appris de nouveau, j’ai apprécié les articulations et analyses qui m’ont permis de mieux cerner certains aspects des dynamiques racistes.
À mon sens le projet ne porte dans la forme qu’en partie les fruits annoncés. D’emblée il me semble que le projet du livre est trop peu précis : l’auteur semble clore un cycle de travaux et avoir besoin de cet effort de synthèse. Mais le résultat oscille entre introduction au phénomène raciste en tant qu’essai d’intervention et outil d’analyse et à la fois objet à prétention créatrice sur le plan conceptuel et analytique. Or, la perspective philosophique apporte à mon sens autant de confusion que de clarification. En effet, les développements philosophiques paraissent souvent pas assez développés ou au contraire un brin trop technique et d’autres développements relèvent plus des sciences sociales ou de l’essai que d’une approche à proprement parlé philosophique. Une cohérence à ce niveau aurait peut-être consisté à faire une introduction à la fois à la philosophie et au racisme en montrant faisant du racisme un objet permettant d’introduire à différents raisonnements philosophiques et de la philosophie un outil pour analyser le racisme. Il y a ici un entre deux qui ne me satisfait pas. Tévanian étant de formation philosophe et de métier prof de philosophie, je comprends bien que ce cadre de pensée soit ici si présent, mais d’un point de vue du projet éditorial, de la stratégie de diffusion des analyses et idées défendues, il me semble que le livre aurait tout à fait pu être aussi pertinent sans le vocabulaire et les catégories philosophiques et ce faisant plus accessible. Ceci étant dit, le livre reste très intéressant et j'ai trouvé le dernier chapitre et la conclusion particulièrement intéressants et utiles pour déconstruire les discours racistes et réflechir à la position de personnes blanches vis-à-vis du racisme.
ii. Pour les personnes qui s’intéresserait à ce livre sans avoir beaucoup, je conseillerais de lire le dernier chapitre, la conclusion et le post-scriptum, soit une cinquantaine de pages. Le dernier chapitre, intitulé « La question blanche » traite de la position éthique des personnes blanches vis-à-vis du racisme et de l’antiracisme et d’une manière qui me paraît intéressant. Et puis c’est une réflexion qui est peu portée dans le paysage intellectuel français. La conclusion me semble intéressante parce qu’elle revient en sept points sur la plupart des sujets abordés au cours du livre mais de manière plus synthétique et claire. Ces différents points visent à contrer des idées reçues sur le racisme (la « peur de l’autre » n’est pas un donné anthropologique spontané mais émane bien d’un contexte socio-historique précis où elle est construite, le racisme n’est pas une peur de l’inconnu mais du connu, du désigné, le racisme n’est pas causé par la différence il la créé, égalité et différence ne sont pas contradictoires mais inséparables, lutter contre le racisme suppose de reconnaître l’existence des races (non pas au sens biologique mais au sens de rapports sociaux), la tolérance est un antiracisme tronqué et en définitif raciste mais peut constituer une étape vers un antiracisme conséquent). Le post-scriptum illustre en quoi le racisme n’est pas seulement discursif et perceptif mais bel bien inscrit dans les structures sociales économiques. Tévanian reprend ainsi les chiffres disponibles sur les différences statistiques entre immigrés et « français » en matière d’emploi.
iii. Une partie des faiblesses de ce livre tient à mon avis au cadre schématiquement philosophique. Je trouve le cadre d’analyse développé par les féministes matérialistes françaises concernant les dynamiques de dominations plus convaincant. Colette Guillaumin bien sûr, dont l’idéologie raciste est à mon sens trop peu cité et exploité mais aussi les travaux sur la dominance ou les écrits de Delphy dont Tévanian est pourtant proche.